Ce texte fait partie du cahier spécial 40 ans de l’IRSST
C’est en 1980, après que le premier ministre du Québec René Lévesque a fait de la santé et de la sécurité du travail une question prioritaire, que l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) a été fondé. Premier centre de recherche sur ce sujet au Canada, il a été créé grâce à une collaboration des milieux syndical et patronal.
« L’économie qui prétendrait encore faire passer l’homme après les machines serait vouée à l’échec. » Cette citation de René Lévesque prononcée lors de son discours inaugural de la nouvelle session de l’Assemblée nationale en 1977 inspire encore aujourd’hui Manuelle Oudar, présidente et cheffe de direction de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST). « Il avait été visionnaire », affirme-t-elle.
René Lévesque avait confié ce dossier à Pierre Marois, ministre d’État au Développement social, qui a déposé en 1978 le livre blanc Politique québécoise de la santé et de la sécurité des travailleurs. Un chapitre porte sur la recherche, décrite comme souvent indirectement liée à la santé ou à la sécurité des travailleurs et dont l’application des résultats était aléatoire et irrégulière. Le projet de loi sur la santé et la sécurité au travail est adopté l’année d’après et il s’ensuit la création de la CNESST.
« Au départ, la partie patronale était plutôt réticente à ce projet de loi, mais Louis Laberge, alors président de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), a convaincu Ghilslain Dufour, alors président du conseil d’administration du Conseil du patronat du Québec (CPQ), d’embarquer dans l’aventure », raconte Yves-Thomas Dorval, président du conseil d’administration du CPQ et membre du conseil d’administration de la CNESST.
Un groupe de travail présidé par Yves Martin, alors recteur de l’Université de Sherbrooke, remet ensuite un rapport qui recommande la création d’un institut de recherche en santé et sécurité du travail.
Paritarisme
C’est finalement le 28 novembre 1980 que Ghislain Dufour, Louis Laberge et Robert Sauvé, p.-d.g. de l’ancienne CSST, signent les lettres patentes qui officialisent la création de l’IRSST, qui a le même conseil d’administration que la CSST. « C’est le fruit d’un important travail de collaboration entre des représentants des travailleurs et des employeurs, affirme Manuelle Oudar. Ce paritarisme montre bien la présence d’un dialogue social et c’est aussi ce qui permet d’assurer que l’organisme demeure pertinent pour les milieux de travail. »
L’IRSST a un conseil scientifique composé de représentants du milieu scientifique, des travailleurs et des employeurs. « Il fait des recommandations au
conseil d’administration, auquel je siège depuis 2011, et même s’il peut parfois y avoir des différends, on finit toujours par trouver un consensus en gardant en tête la mission de l’IRSST », affirme Jean Lacharité, deuxième vice-président, Confédération des syndicats nationaux (CSN).
Dans ses premières années d’existence, l’IRSST fait plusieurs études dans le domaine toxicologique. Le premier grand programme de recherche porte sur la grossesse et le travail, avec notamment tous les dangers d’exposition aux substances chimiques dans les usines. Ensuite, les accidents de travail et la réadaptation sont étudiés, puis c’est l’ergonomie.
« Il fallait au départ établir la crédibilité de l’IRSST auprès des parties prenantes, mais très rapidement, ça a fonctionné et les milieux patronal et syndical ont apprécié, affirme Yves-Thomas Dorval. Plus ça allait, plus il y avait de travail en partenariat et de demandes de recherche issues des milieux de travail, soit de la partie patronale ou syndicale. »
Rayonnement
Les fondateurs de l’IRSST avaient aussi l’ambition de voir sa recherche rayonner à l’international. « Rapidement, l’IRSST s’est mis à réseauter avec des instituts semblables dans le monde, affirme Yves-ThomasDorval. Sa mission compre
nd le transfert et le partage de connaissance et il a rapidement acquis des lettres de noblesse à l’extérieur du pays. »
« Je me souviens d’un grand congrès sur la santé et sécurité du travail il y a près de 10 ans à Istanbul où des délégués de plusieurs pays m’ont dit combien ils avaient d’admiration pour les projets de recherche qui avaient été menés par l’IRSST », raconte Jean Lacharité.
Ce leadership québécois en matière de recherche sur la santé et sécurité du travail est toujours bien présent aujourd’hui, d’après Manuelle Oudar. « Par exemple, dans le contexte actuel, l’IRSST travaille avec le Bureau de normalisation du Québec pour trouver des solutions plus durables aux masques jetables, affirme-t-elle. Nous voulons faire certifier des masques en tissus lavables et efficaces. Des tests se font actuellement avec différents types de tissus. Lorsque le travail sera terminé, on pourrait penser à l’exportation et ce serait un beau rayonnement de l’expertise de l’IRSST. »
Martine LetarteCollaboration spéciale
28 novembre 2020 Le Devoir